Sources

Franz Liszt ‒ Sources du concert n° 177

Le National de 1834, mercredi 1er février 1837, p. [2]-[3]
Article signé: « J. M....er » (Joseph Mainzer)

FEUILLETON DU 1er FÉVRIER.

 

REVUE MUSICALE.

 

Liszt. ― Berlioz. ― Urhan. ― Les frères Kontski. ― Thomassin. ― Chérubini.

 

[...]

   ― La première séance instrumentale de MM. Liszt, Batta et Urhan a été dignement ouverte par le trio de Beethoven. C’est la première fois que nous avons entendu exécuter avec un si rare ensemble ce beau et brillant morceau du grand maître. Quoique, de notre avis, les forte aient été un peu outrés, les nuances variées du style, tantôt grave et sérieux, tantôt vif et gai, ont été rendues avec tout le goût et toutes la délicatesse possibles.

   Le morceau de violoncelle joué par Batta nous a semblé très faible sous le rapport de la composition. Le thême, pris d’un air russe, est pourtant des plus heureux : c’est une charmante mélodie qui a tout le caractère national du pays. Le reste nous a paru une espèce de pot-pourri qui n’était pas capable d’impressionner un public venu pour entendre les compositions de Beethoven. Le jeu de Batta est d’une vigueur étonnante : un son rond et volumineux, un chant délicieux dans les adagio ; mais, dans les momens d’entraînement, il n’est plus ainsi ; quoique la pureté et la clarté du jeu ne souffrent pas, les cordes sont, cependant, attaquées avec trop de fougue et raclent plus qu’on ne devrait l’attendre de Batta.

   Le grand morceau de Liszt, le rondo fantastique Yo que soy contrabandista aurait été une belle et brillante improvisation, et, considéré sous ce rapport, il nous aurait révélé l’imagination si vive, si riche, si variée du compositeur, ainsi qu’il nous a montré sous son plus beau jour son immense talent d’exécution ; mais comme pensée, nous l’avons trouvé trop vague, trop indécis ; touchant, comme la plupart des compositions fantastiques, plutôt à la description extérieure des sites et des lieux qu’aux sensations intimes de l’âme. La vie intérieure de l’homme est aussi variée que celle du monde qui l’entoure, bien qu’elle soit molins saisissable. Toucher à ces cordes mystérieuses au moyen des cordes vibrantes de son instrument : exciter de nobles pensées, des sentimens élevés, voilà la tâche du musicien. La partie extérieure, la partie descriptive n’est plus de son ressort. Laissons cela au peintre, au statuaire. La matière dont se sert l’artiste lui trace sa route : pour le peintre, les couleurs ; pour le musicien, les sons. Le vague de ces derniers ne se prête à aucune description ; le peintre le plus médiocre sera, sur ce terrain, toujours au-dessus du musicien le plus habile. Ce qui est visible ne peut être du domaine musical.

   La grande sonate de Beethoven, pour violon et piano, n’a pu produire l’effet qu’on en devait attendre, à cause de l’inégalité de force des exécutans. M. Urhan n’a ni force ni énergie dans son jeu ; son violon n’a pas [p. 3] [d]e son et se trouve par conséquent, à côté de Liszt, dont le jeu est mâle et gracieux, plein de goût et de délicatesse, engagé dans une lutte par trop fâcheuse pour lui et le public.

   Nous voyons, du reste, dans la série des séances de Liszt, consacrées aux compositions de Beethoven, une belle et louable pensée, le complément de celle d’Habeneck au Conservatoire.

[...]

Responsable de publication: Claude Knepper (CNRS) - Réalisation: Philippe Brunet  - Copyright © www.liszt.cnrs.fr