Sources

Franz Liszt ‒ Sources du concert n° 177

F-Pn, N.a.fr. 25175, no 129/1-2, fos 271-274
Lettre de Franz Liszt à Mme la comtesse Charles d’Agoult (née Marie de Flavigny), à Nohant
Paris, dimanche 19 février 1837

[fo 271 ro]

Je viens solliciter aujourd’hui chère Belle ; cela m’arrive assez depuis quelque temps. Il s’agit d’un article sur les 4 seances, que je devrais et que je n’ose pas faire depuis l’énorme succès de la lettre du Bachelier dont tout le monde me fait compliment.

Voici comment il faudrait à peu près ordonner l’article en question qui sera signé de mon nom.

— Quelque soit d’ailleurs la predilection du public pour les choses frivoles, sa passion pour les médiocrités clinquantes, etc. etc., il est pourtant [fo 271 vo] à Paris un nombre assez considérable d’hommes, qui ont voué un culte sérieux à l’art, et qui travaillent consciencieusement à leur éducation musicale (au fond c’est l’idée du petit Zyo, 1er article inséré dans le monde sur Berlioz.)

— Si nous avions pu avoir quelque doute sur l’existence de ce public, l’affluence de choix qui s’est porté [sic] à 4 seances, dont le programme n’était pas de nature à séduire les dilettanti et le Balcon des Italiens, aurait changé notre doute en affirmation.

— puis 1 ou 2 phrases sur [fo 272 ro] l’impuissance des obstacles, et sur la necessité du progrès dans l’art musical en France

— Enfin arriver à parler des 4 séances. Dire qu’on a écouté avec une religieuse attention, et un interet passionné des choses qui eussent probablement fait bailler dans bien des Concerts.

— Bien entendu qu’il ne faudra pas dire un mot de moi, et se borner à faire dignement l’éloge du talent et de l’individualité d’Urhan. Appuyer sur la conscience et l’austérité de l’artiste ; dire que si des violons comme Lafont, de Bériot, etc. [fo 272 vo] ont plus d’elegance dans la manière, ne saurait [sic] lui est supérieur, sous le rapport du sérieux, et de la dignité. Nul ne comprend plus profondément les grandes œuvres, etc.

Faire aussi l’éloge de Batta (qui depuis huit jours devient très bon garçon) parler de sa belle qualité de son, et du charme de son jeu.

Enfin faire l’éloge des beaux salons aristocratiques d’Erard, tout éclairés de bougies, et de son Piano qui réunit les 2 qualités qui ordinairement s’excluent, la puissance et le moelleux du son, – parler, si vous voulez, de mon effet au Conservatoire et aux Italiens, où avec [fo 273 ro] mon Piano je couvrais l’Orchestre, et dire ce qui est vrai, qu’avec aucun autre instrument il ne m’aurait été possible de produire cet effet.

   Terminer enfin par ceci :

Ces 4 séances ne en [sic] quelque sorte que préparatoires. Quoique nous ayons déjà dit 5 Trios de Beethoven, il nous reste encore un nombre très considérable de choses qui ne se disent nulle part et qu’il importe de faire connaître au public.

Annoncer que ces séances seront momentanément [sic] mais que nous [fo 273 vo] les reprendrons la Semaine sainte et que nous consacrerons 3 jours de cette Semaine (si cela vous vient, faites une petite phrase sur la Semaine sainte), à exécuter exclusivement des compositions de Beethoven, Schubert et Weber.

   La phrase finale vous la ferez comme vous l’entendrez : je ne serais pas faché que vous disiez qu’il serait temps que des artistes haut placés abandonnent définitivement le métier d’amuseur du public [fo 274 ro] et prissent à tâche et d’enseignement et d’initier le public aux grandes et nobles choses. Qu’on ne s’y trompe pas ! la durée de leur réputation et l’importance de leur position est désormais à ce prix.

[trait oblique]

   Voilà à peu près le canevas de l’article qui ne devra pas être très long à moins que vous ne vouliez le faire long. Il faudra le faire en mon nom personnel. La chose est importante pour moi.

   C’est un véritable service que je vous demande. [fo 274 vo] Tachez de m’envoyer cela d’ici à 5 jours de façon à ce que je puisse le mettre dans la Gazette Dimanche 24 Février et aussi dans le Monde.

[deux traits obliques]

      Il y a plus d’une demi-heure que 4 personnes attendent dans cette chambre = impossible de continuer.

   Aimez-moi, comme je vous aime.

      Je vous écrirai deux mots demain.

         À vous, à vous seule.

[paraphe]


Bibliographie

— Gut, Serge et Bellas, Jacqueline, éd. Franz Liszt, Marie d’Agoult. Correspondance. Nouvelle édition revue, augmentée et annotée par Serge Gut et Jacqueline Bellas. Paris : Fayard, 2001, no 151, p. 271-272

Transcription

Responsable de publication: Claude Knepper (CNRS) - Réalisation: Philippe Brunet  - Copyright © www.liszt.cnrs.fr