Sources

Franz Liszt ‒ Sources du concert n° 177

Revue des deux mondes, 4e série, t. IX, 15 mars 1837, p. 771-772
Article signé: « H... W... » (Hans Werner)

REVUE MUSICALE.

 

[... p. 771...]

   M. Liszt a donné quatre soirées en l’honneur des sonates et des concertos de Beethoven. Le public intelligent et capable de se recueillir était accouru là de toutes parts pour apprendre quelque chose encore sur ce génie immense qui a mis au monde les symphonies, et continuer cette initiation profonde, qui se poursuit chaque année au conservatoire avec tant de talent et de générosité d’un côté, de l’autre avec tant de zèle et de persévérance. En effet, faute d’interprètes, faute aussi de sanctuaire, on avait ignoré jusqu’à ce jour les compositions moindres de Beethoven, la plupart chefs-d’œuvre de pensée et de beau style, qui, pour être plus intimes, n’en méritent pas moins l’admiration de tous. On ne peut que louer M. Liszt d’avoir complété de la sorte la noble entreprise du Conservatoire. Du reste, le programme avait toujours de quoi vivement émouvoir l’intérêt. Tantôt c’était Nourrit qui chantait avec un enthousiasme sacré les Astres, cet hymne magnifique de Schubert, cette voix d’une ame enivrée des merveilles de la création, qui tout à coup sort de son extase, pousse un cri sublime, et presque aussitôt y retombe, comme ravie d’avoir jeté un son dans l’harmonie universelle ; tantôt c’était M. Liszt qui jouait avec sa fougue et son entraînement accoutumés quelque sonate de Beethoven. Certes M. Liszt est un musicien énergique et puissant, et personne plus que nous n’admire sa manière impétueuse et brillante, quand toutefois sa verve veut bien se donner champ dans les limites de l’art, et ne dégénère pas en un délire qui va jusqu’à la frénésie, oubliant le style et la mesure. Mais pourquoi toute cette pantomime bizarre, qui semble chercher à traduire l’expression de la musique? Vous avez le son, qui parle aux ames, pourquoi ces gestes, qui ne s’adressent qu’aux yeux ? pourquoi cette chevelure flottante, qui revient à tout moment, comme pour donner à la tête l’occasion de se relever fièrement, à la manière d’un lion qui secoue sa crinière ? pourquoi tous ces souvenirs du Kreissler d’Hoffmann ? qu’est-il besoin de suivre ainsi toutes les ondulations de la musique ? Un homme n’est pas un épi de blé, pour se plier au moindre vent qui ride la surface du clavier.

   Thalberg en agit autrement : il demeure immobile à son piano ; et tandis que le clavier rend sous sa main des sons dont il a seul le se[p. 772]cret, des sons inouïs jusqu’à présent, et tels qu’il semblait impossible que cet instrument en pût jamais exhaler de si beaux, il garde une attitude impassible. Rien de ce qu’il médite ne transpire au dehors. Ses sensations vont droit du cœur au clavier sans jamais se promener sur son visage. C’est un jeu clair, régulier, parfait : point de trouble ni de confusion ; toujours la mesure. Dans ses plus grands emportemens, vous entendez vibrer la moindre note, vous comptez chaque goutte de cristal dans le torrent mélodieux. L’effet que produit Thalberg est immense, et d’autant plus glorieux pour lui, qu’il ne le cherche jamais au-delà des plus sévères conditions de son art. Les partisans du geste et de la pantomime, ceux qui ne s’émeuvent que lorsqu’on les secoue rudement par les épaules, prétendent que la manière de Thalberg est dénuée de sentiment. C’est là une opinion au moins fausse, et dont le succès même de cette manière démontre le peu de valeur. En effet, un pianiste qui se contenterait de grouper des notes entre elles sans les animer du souffle de son inspiration, ferait à peu près le travail d’un homme qui enfile des perles, et je doute que le public se laissât divertir long-temps par cet exercice puéril. L’impassibilité, qui ne se dément pas un instant au milieu d’une exécution éclatante et sympathique, est un signe de puissance, voilà tout. Thalberg rappelle aujourd’hui les maîtres de la grande école du piano. C’est ainsi que devait en jouer Mozart, avec inspiration, mais aussi avec tact et réserve, dans une époque où le talent et la simplicité s’alliaient encore ensemble à merveille.

H... W...      


Bibliographie

— University of London, School of Advanced Studies

http://sas-space.sas.ac.uk/dspace/bitstream/10065/516/1/Rddm+15+March+1837.pdf

Transcription. Quelques erreurs.

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