Sources

Franz Liszt ‒ Sources du concert n° 211

Le Journal du Loiret, 24e année, no 35, samedi 1er mai 1841, p. [2]

Concert de M. Liszt.

 

   Six morceaux de piano exécutés coup sur coup, par le même artiste ! — Certes, le programme offrait une perspective peu rassurante pour ceux qui avant tout aiment la variété. Eh bien ! en dépit des prévisions, le succès a été complet.

   Avez-vous entendu Liszt ? L’admirable artiste ! quelle âme ! quel feu ! avec quelle vigueur l’instrument résonne ! ces morceaux d’ivoire d’une expression si sèche et si incomplète, il les anime de toute la passion qui circule dans ses veines. Sous ses doigts inspirés le piano acquiert presque de la sensibilité. C’est le triomphe de la difficulté vaincue !

   Comment louer dignement cette organisation musicale si complète et si exquise ? les formules d’éloge épuisées par la presse parisienne ne nous laissent plus que la fadeur des répétitions. Que dire d’un talent parfait ? la plume peut-elle rendre ces effets si pittoresques et si variés d’une improvisation toujours harmonieuse ? Tantôt c’est l’orage avec sa grêle de notes impossible à nombrer ; puis, c’est une fraîche matinée de printemps, un ciel pur, le chant des oiseaux, etc. etc., et l’âme du musicien poète, tour-à-tour entraînée des effets graves aux effets grâcieux, du lent au rapide, monte, descend, se relève, s’abaisse, toujours pure et suave dans ses inspirations ; et, dans ce labyrinthe de notes et de tons, le musicien, sans s’égarer, tient d’une main sûre le fil de l’harmonie ! — L’artiste a dompté l’instrument ; il a assoupli ses cordes rebelles ; il l’a réchauffé du feu de son âme brûlante. Cependant (telle est l’impérieuse nécessité des choses) l’admiration, suspendue aux accords du musicien, éclate en transports d’enthousiasme, il est vrai ; mais elle semble demander à l’instrument ce quelque chose d’indéfinissable qui touche et ravit, et que le violon et la basse surtout font passer dans l’âme de l’auditeur.

   En résumé, succès brillant et bien mérité.

   L’ouverture de Guillaume-Tell, admirablement exécutée, a révélé au public toute la puissance d’exécution et l’harmonieuse vigueur du célèbre artiste. Deux mélodies de Schubert, respirant une grâcieuse mélancolie, un andante de Lucy [sic]de Lamermoor, et une fantaisie sur des motifs de Robert-le-Diable avec un staccato prodigieux, ont été couverts d’applaudissemens. Le Galop chromatique de la fin est un de ces morceaux fantastiques dans lesquels excelle le talent plein de sève et d’abandon de M. Liszt. Rappelé par les bravos unanimes de l’auditoire, le grand pianiste, avec une galanterie de bon ton, a clos la soirée par une délicieuse improvisation sur des motifs des Puritains. — Nous ne pouvons mieux terminer cet article qu’en répétant ce que nous avons entendu dans toutes les bouches : admirable ! merveilleux !! prodigieux !!!

Responsable de publication: Claude Knepper (CNRS) - Réalisation: Philippe Brunet  - Copyright © www.liszt.cnrs.fr