Sources

Franz Liszt ‒ Sources du concert n° 293

Revue et gazette musicale de Paris, 12e année, no 23, [dimanche] 8 juin 1845, p. 190

   M. de Lamartine a donné, il y a quinze jours, une fête brillante au château de Montceaux [sic]. Cette fête a été suivie d’un banquet où se trouvaient réunies plus de cent personnes de toutes les classes de la société, propriétaires, électeurs, hommes de lettres, artisans et artistes. Parmi ces derniers, on remarquait M. Liszt, le grand pianiste, qui, au dessert, a porté le toast suivant :

 

      MESSIEURS,

   « Qu’il me soit permis aujourd’hui, quoique étranger parmi vous, de porter le toast de M. de Lamartine.

   Je n’essaierai point de vous parler de lui ; car, pour pouvoir le faire dignement, il me faudrait lui emprunter un peu de sa grande et harmonieuse parole, qui est aussi une grande et harmonieuse musique. Et cette musique, vous le savez, Messieurs, et la France et l’Europe le savent également, n’est pas futile, passagère et sans écho comme la mienne... Non, car son rhythme est incessamment marqué par les plus nobles sentiments du cœur et les plus hautes inspirations de l’intelligence.

   Oh ! vous faites bien, Messieurs, d’entourer de respect, d’admiration et de sympathie votre illustre député ; et, pour ma part, je me sens heureux et fier d’être convié à cette table, et de pouvoir lui dire au nom de tous :

   Jamais nous ne vous ferons défaut ;

   Jamais il ne nous arrivera de méconnaître en vous la double consécration du génie et du patriotisme ;

   Jamais, enfin, nous ne dégénérerons de l’avenir providentiel que vous nous préparez, et vers lequel nous vous demandons de nous guider. »

 

   M. de Lamartine s’est levé et a répondu ainsi à ce toast :

 

      « MESSIEURS,

   Non, l’illustre artiste à qui nous avons le bonheur d’offrir l’hospitalité n’est étranger nulle part : le génie est le compatriote de toutes les intelligences et de toutes les âmes qui le sentent. Mais ce n’est pas son génie que je vous propose de saluer en ce moment ; c’est sa bonté, c’est sa prodigalité de bienfaisance envers les classes souffrantes de ce peuple, qu’il aime, et qu’il va chercher dans ses infirmités et dans ses misères, pour lui porter en secret la dîme de son talent, la dîme de sa propre vie, car il met de sa vie dans son talent... Ce toast donc à M. Liszt ! Les applaudissements le précèdent et le suivent toujours : mais les applaudissements qu’il préfère, ce sont les bénédictions silencieuses de quelques pauvres familles soulagées mystérieusement par lui ; c’est l’aumône secrète qu’il glisse dans la main du malheur, que Dieu seul y voit tomber, et qui retentit dans le ciel comme la plus belle note de ses concerts. (Applaudissements prolongés.)

Responsable de publication: Claude Knepper (CNRS) - Réalisation: Philippe Brunet  - Copyright © www.liszt.cnrs.fr